J'ai l'impression que le monde s'écroule... Tout est en train de changer et je ne peux rien y faire. J'ai cette impression fâcheuse d'être clouée au sol. J'aimerai tellement pouvoir m'enfuir... Il faut que j'arrive à m'enfuir... Je les entends... Ils sont là, proches de moi et pourtant si loin. Je n'arrive pas à les voir, mais je sais qu'ils sont là. Mes enfants, ma chair, mon sang... J'entends mes fils hurler mon prénom. On peut y entendre le désespoir... Ou bien serait-ce de la colère?!? Je n'arrive pas à distinguer le vrai du faux. J'ai l'impression d'étouffer... J'ai l'impression que la fin est proche... Et elle. Oui, elle!! Elle me regarde. Je la sens... Elle m'observe, me scrute, m'analyse pour mieux me punir, pour mieux me faire payer ces erreurs que j'ai commise. Je sais déjà que le jugement sera violent et cruel, pas besoin de me dire le contraire... Vendre son âme au Diable comme dirait ces Terriens...
Je lutte, j'essaie en vain de bouger mais je reste stoïque... Je ne bouge pas d'un millimètre, je suis juste là à fixer l'horizon... J'entends encore leurs voix... Kylian, Cayden et Damian... J'aimerai tellement voir leurs visages... Mais j'ai l'impression que jamais ils ne me trouveront. J'ai cette fâcheuse impression que ma punition sera cette dernière. Ne pas les revoir avant la fin... Je hurle intérieurement leur prénom à chacun, mais aucun son ne sort. Seul mon regard exprime cette peur qui me tenaille et pourtant je ne suis pas ce genre de femme à craindre tout et n'importe quoi, mais elle est là et je sais que sa sentence va tomber... J'étouffe, l'air se fait rare et tout autour de moi s'effondre... Elle me regarde toujours... Je le sais... La mort est lente, violente... Ma mort reflète-elle mon existence?!? J'aimerai dire le contraire mais personne ne saurait le juger... La douleur m'envahit... Mes entrailles se tordent... Je sens alors cette lame qui me hante depuis tellement de temps me déchirer l'abdomen. Je sens la vie me quitter lentement et...

Un éclair déchire le ciel et le tonnerre s'abat sur Illyria me sortant alors de ce cauchemar... Le souffle court, je fixe l'horizon... Une nuit de plus à vivre cette affreuse vision... Même si les questions fusent, je me doute de certaines réponses... Mais comme bien du monde, je ne veux pas remettre en question mes actes, mon existence et ne veux pas vivre dans le regret. Cependant je sens qu'indirectement on me juge. Que la Moïra sait... J'essaie de retrouver mon calme et quitte pour cela mon lit... Je ne risque pas de réveiller l'homme que j'aime car il y a bien longtemps qu'il n'a pas dormi en ma compagnie... Stelan... A sa pensée mon corps réagit avec douceur et en même temps une pointe d'amertume s'empare de ma bouche... Un frisson me parcourt et je passe alors ma main sur mon bras comme pour me réchauffer... Il me manque tant. Cela fait désormais près de trois années que Stelan est dans le coma. Impossible de le réveiller selon les curams... Parfois j'ai l'impression qu'ils ne se donnent pas entièrement et ne font pas leur maximum pour me le ramener. Pour nous le ramener car ses fils ont également besoin de lui et cela même si ils n'en sont pas tous forcement convaincus. La nuit est fraîche et lugubre, seul le tonnerre et les éclairs animent l'obscurité. Je me calme doucement et tente en vain de ne pas plonger dans une étrange nostalgie surgissant à chaque fois que je pense à mon mari. Au bout de trois années, la douleur est moins violente mais elle persiste et ne s'estompe jamais vraiment. Un rire léger s'échappe d'entre mes lèvres... Cette faiblesse qui me caractérise est une ironie à elle seule. Peu de personnes peuvent prétendre me connaitre de la sorte, ma fragilité ne concerne que moi et je ne préfère pas donner une arme à un éventuel ennemi. En dehors de ces murs je suis Lucinda Zäkyann, cette femme complexe et sûre d'elle. En dehors de cette demeure je suis Lucinda Zäkyann, cette femme sulfureuse et féministe, se battant pour ses pairs. Un autre rire s'échappe à nouveau d'entre mes lèvres et vient briser le silence qui règne dans la pièce depuis quelques secondes... L'orage se calme et j'ai repris mes esprits.

Ma vie est riche et plaisante. Ou du moins elle l'était totalement jusqu'à ces dernières années. Mes enfants restent cependant d'un grand soutien pour moi et me permettent d'avancer et de continuer. Attachée au plus haut point à cette notion qu'est la famille, je m'évertue à être le ciment qui unie le tout. Cependant rien n'est simple dans la vie et les relations qui nous lient ne le sont pas non plus. Nous sommes des Zäkyann et nous avons notre tempérament. Je retrouve en chacun de mes enfants une petite part de moi. Et cette part peut être aussi bien mauvaise que bonne... Il n'a jamais été évidant de conjuguer ma profession dites peu ordinaire avec cette image que l'on se fait d'une bonne mère traditionnelle d'Illyria et j'avoue qu'il n'a pas toujours été évident pour mes enfants de vivre avec cela, mais j'ai toujours voulu que chacun d'eux comprennent à quel point il était important de n'avoir honte d'aucuns de ces gestes et actes et d'en assumer pleinement les conséquences qui peuvent en découler.

Il est vrai que bon nombre de femmes me dévisagent comme si j'étais le mal incarné... Leur sens moral aiguisé les obligeant sûrement à supplier la Moïra pour obtenir plaisir et satisfaction, ces dernières ne voient en moi qu'une femme de plaisir et de petite vertu. Mais peu m'importe, j'ai compris depuis longtemps qu'une femme qui s'assume contrôle chaque partie de son être, de son corps et vit en parfaite symbiose avec toutes ses choses de la vie, y compris le sexe... Bien évidemment il y  eut des moments difficiles, car comment expliquer qu'un homme comme Stelan puisse aimer une femme comme moi... A cette pensée, mon corps se raidit tout entier... J'étais persuadée que l'amour pouvait vaincre n'importe quel obstacle et Stelan ne me demanda jamais d'être une autre que celle que j'étais au plus profond de mon être. Le désir, le plaisir et le jeu qui en découlait rythmait mon existence et me permettait d'être une femme épanouit. Stelan sachant pertinemment que rien ne m'éloignerait de lui,  n'avait jamais eu de crainte vis à vis de cette profession. Et même si les choses changeaient, je restais persuadée que mon amour envers lui était éternel... Trois longues années... Un soupir s'échappa lentement d'entre mes lèvres... J'étais un tel personnage... Passant de la crainte au rire, du rire au soupir... Mais trois longues années... J'étais persuadée depuis quelques temps que je ne le reverrai plus jamais, mais j'espérai toujours... Encore et toujours. Cependant une femme avait des besoins et des désirs, comme l'homme pouvait en avoir. Et avec le temps, même si cela fut difficile pour moi, je compris qu'il était temps à nouveau de vivre. Le plaisir faisant partie de la vie, j'oubliai pour la première fois le serment que j'avais fait à mon époux et me laissais à nouveau connaître les joies d'une nuit à deux. Mais il est assez facile pour moi d'avouer qu'il ne s'agit pas de la même chose. Dans ce cas bien précis, il ne s'agit qu'à mes yeux d'assouvir un désir, une pulsion et je fais toujours en sorte que mes conquêtes d'une nuit ne deviennent pas plus que cela. Ainsi mes enfants, même si ces derniers se doutent de bien des choses, ne savent rien de ma vie privée. Du moins cette dernière n'est point un sujet primordial à leurs yeux. Et je pouvais pleinement le comprendre. Quelle existence avaient-ils pu avoir!! Mes fils... J'étais l'une des rares à voir la tristesse dans le regard de Kylian, l'unique à entendre le mal être et se sentiment d'abandon dans les paroles de Cayden et la seule à comprendre pleinement les désirs de Damian qui se cherchait parmi tout cela... Les hommes sont tellement compliqués et en même temps si simple à cerner que la fraicheur de ma petite fille me permettait bien souvent de m'évader et de me sentir revivre pleinement. D'ailleurs à son souvenir je souris sincèrement pour la première fois depuis mon réveil mouvementé. Elle me rappelait tellement la jeune femme que j'avais pu être et j'arrivai à comprendre sa peine avec une telle évidence que cela en était désarmant pour elle.

Un éclair vint alors à nouveau déchirer l'horizon et me sortit alors de mes pensées. Il n'était pas rare que je fasse un bilan de ma vie et de mon existence, mais je ne m'apitoyais en rien sur mon sort, je constatais simplement, analysant tout pour en tirer les meilleurs leçons. La Moïra avait déjà décidé de mon existence et je ne devais pas la craindre. Du moins je me devais de surmonter cette peur qui me saisissait nuit après nuit. Chaque acte à une conséquence et j'étais prête à en assumer chacune d'entre elle. J'étais une enfant d'Illyria, je m'étais battue et je me bats encore aujourd'hui pour être ce que je suis et pour que les miens puissent vivre leurs rêves et même si l'obscurité se rappelle à moi comme un inévitable bourreau, je ne crains plus cette fin qui sera la mienne. Me dirigeant alors à nouveau vers mon lit, je décidais alors de me laisser aller à nouveau au sommeil, comme si j'étais capable de la vaincre. De vaincre cette peur primaire et profonde qui habite mes entrailles. Je n'aurai plus peur de l'obscurité, je m'en faisais à nouveau la promesse, avant de me laisser aller à de nouveaux rêves...