« Erza, Erza ! Viens voir ! Ils ont dit mon nom à la télé ! ERZA ! » L'espace d'un instant, ton coeur s'est arrêté de battre et le temps s'est figé. En temps normal, n'importe qui aurait été heureux de voir l'un de ses proches tirés au sort, un minimum. Mais toi, tu ne l'as vu que comme une malédiction. Vous veniez à peine de perdre vos parents, et voilà qu'on t'arrachait ton petit-frère. Il n'avait que cinq ans bon sang, comment on pouvait l'enlever à la seule famille qu'il lui restait ? Il était trop jeune, beaucoup trop jeune selon toi. Un sourire forcé sur les lèvres qui n'effaçait en rien ton air inquiet, tu pousses sur les roues de ton fauteuil jusqu'à lui pour lui expliquer ce qui était en train de se passer. Il allait s'en aller sur une autre planète, vivre une toute nouvelle vie en paix, loin de tout ce malheur et toute cette pollution. Tu retenais tes larmes de toutes tes forces quand il te demanda si tu venais avec lui, et que tu as dû lui répondre que non, qu'il allait être tout seul. Comment il pouvait comprendre ? Comment il pouvait réaliser ce qui allait arriver ? Il était plus que probable que vous ne vous revoyiez plus jamais, c'était un fait. Il aurait pu refuser, rester sur Terre, mais sa maladie respiratoire était un facteur trop important dans cette décision, et vous n'étiez que des enfants, ce n'était pas à vous de choisir. « C'est ce qu'il y a de mieux pour lui, crois-moi, ici il n'aurait pas eu une vie digne de ce nom. » Et tu savais que votre oncle avait raison, tu le savais. Mais tu ne pouvais t'empêcher de pleurer et de souhaiter que tout cela n'ait été qu'un cauchemar. Au lieu de ça, tu l'as accompagné jusqu'à l'embarquement, et ce n'est qu'arrivée là, que tu lui fis une promesse qui allait régir ta vie toute entière jusqu'à la fin de tes jours. « Je te retrouverai Nolan. Peu importe comment, ni où, ni quand, je te retrouverai, je t'en fais la promesse. » Et une grande-sœur tiens toujours ses promesses.

Bien sûr que tu avais perdu tes jambes dans l'accident qui t'avait pris tes parents, mais ce n'était pas ça qui allait t'arrêter. Tu avais hérité de l'acharnement des Silverman, et tu allais en avoir besoin. Condamnée à rester assise, qu'à cela ne tienne, tu allais étudier comme jamais. Ton oncle t'avais prise en charge, et on peut dire qu'il t'a soutenue jour et nuit pendant des années. Vous aviez cette même passion pour l'apprentissage et le savoir. Il était le conservateur de l'un des plus grands muséums qui restaient sur Terre, un musée sur l'évolution de la planète sous toutes ses coutures. De la faune à la flore, du sol au ciel, de la terre à l'acier, des livres aux écrans, rien n'a pu t'échapper. Tu vivais au rythme des expositions et des visites. Tu avais cet esprit analytique et maniaque digne d'une scientifique, et tu l’aiguisais chaque jour un peu plus grâce à ton oncle, ton unique professeur et maître à penser. Tu ne pouvais pas attendre d'être sélectionnée à la loterie, tu ne pouvais même pas espérer l'être un jour, il te fallait une solution plus rapide. C'est comme ça que tu as décidé de devenir scientifique. Histoire, sociologie, géologie, zoologie, biologie, astronomie, rien ne pouvait te freiner dans ton élan. Mais ce qui te passionnait le plus, c'était la cartographie, certes, bien inutile en ce qui concerne la Terre, déjà explorée de font-en-comble, mais pour ce qui était d'une nouvelle planète, rien n'était encore perdu. Tu avais de l'espoir, tu savais que tu pouvais le faire, tu allais tout donner. En échange de ce dévouement, tu ne vivais que pour étudier et travailler encore plus, tu ne voyais personne, si ce n'est ton oncle et les employés du musée. Tu n'avais pas d'amis, pas de vie sociale, tu sortais rarement, si ce n'est jamais, pour faire quoi ? Tu n'y voyais aucun intérêt. Tout ce qui comptait, c'était de retrouver ton petit-frère, rien d'autre. Et pour cela, tu étais prête à tout sacrifier, sans aucune hésitation.

« Qui ? » Sa question résonnait dans ta tête, sans trouver de fin à cet écho percutant. Tu restais figée sur place, incapable de faire quoi que ce soit d'autre que le fixer, incrédule. Ton sourire s'effaçait peu à peu, et la joie d'avoir retrouvé ton frère retombait avec lui. Comment c'était possible ? Comment il avait pu t'oublier ? Sans comprendre ce qu'il se passait, il te laissa en plan, toute seule au milieu de la foule, tandis que tu te contentais de le regarder s'éloigner pour la seconde fois, sans rien faire une fois de plus. Tu as mis quelques minutes avant de reprendre tes esprits et de réaliser que tu ne fixais plus qu'un point sur l'horizon. Tu avais fait tout ce voyage pour rien ? Tu t'étais tué au travail pour te faire recruter, pendant des années, tu n'avais cessé de donner ton maximum, tu avais consacré tout ton temps à ce but, et tout ça pour quoi ? Pour quelqu'un qui a refait sa vie comme si de rien n'était et t'a effacée de sa mémoire ? Non. C'était impossible, il n'avait pas pu faire ça. Et pourtant, tu l'avais retrouvé, c'était bel et bien Nolan qui était en face de toi il y a quelques instants, et qui t'avais ignorée royalement. Tu avais réussi à te faire recruter, tu avais réussi à avoir un aller simple pour Gaëlia, en vain ? Non. Tu refusais de le croire, tu refusais de l'accepter. Ça ne pouvait pas s'arrêter là, pas comme ça. Tu ne pouvais pas abandonner après avoir fait tout ce chemin, pas après avoir tant travaillé pour y arriver, ce n'était pas dans ta nature. Quitte à jouer les têtes de mule, tu n'avais plus rien à perdre, tu avais tout laissé sur Terre, tout restait à faire, rien n'était accompli. Tu essuyas une larme qui coulait sur ta joue, blessée et renfrognée, tu sentis une once de colère t'envahir. Ce n'était pas censé se passer de cette façon, tu ne pouvais accepter que ce soit le cas.

Tu avais traversé l'espace, tu avais tout supporté toute seule, rien ne pouvait t'arrêter, tu en étais persuadée. Cette planète était une opportunité hors du commun, tu en étais la preuve vivante. Toi qui avais perdu tes jambes à cause d'un malheureux accident et d'une maladie incurable, tu avais vécu une renaissance. On t'avait d'abord fait une injection pour contrer ta maladie : tes os étaient devenus plus forts et se régénéraient correctement. Seulement ce n'était pas suffisant pour récupérer tes jambes qui étaient dans un bien trop mauvais état. On t'a proposé la solution des membres bioniques, chose que tu as acceptée sans hésiter : ces jambes-là ne pouvaient plus te mener nulle part, autant en changer. Tu te retrouvas donc avec deux jambes d'acier qui pourraient te porter indéfiniment. Non seulement elles t'apportaient une mobilité que tu avais oublié depuis des années, mais elles te firent prendre conscience que durant ces vingt dernières années, ta vie n'était que douleur, jour et nuit. Tu réalisas à quel point tes anciennes jambes t'avaient fait souffrir, et le fait de ne plus avoir mal continuellement te bouleversa, et tu pleuras pour la première fois depuis le départ de ton petit-frère. Une seconde vie t'as été offerte lorsque tu es arrivée sur Gaëlia, et tu comptais bien en profiter au maximum, après tout ce n'était pas tout le monde qui avait droit à une telle chance. Après l'initiation à la vie sur cette nouvelle planète, tu décidas de rejoindre New Hope où tu savais que tu serais le plus utile. Tes notions des différentes branches scientifiques te fournissaient une palette diverse de connaissances appréciées, et tes talents de cartographes te furent enfin profitables. Tu explorais sans relâche les moindres recoins de la planète, la soif d'apprendre et d'aventure te poussant à aller toujours plus loin sans t'arrêter. Tu étais devenue une exploratrice découvrant un nouveau monde, et ça te plaisait. Ta nouvelle vie ne faisait que commencer ...