+ 38 ans+ Houston, Texas+ Les Terriens+ Arrivé depuis huit ans + feat Norman Reedus
(Pour déguster l'histoire dans les meilleures conditions, je vous conseille d'écouter Starlight d'Indochine en cliquant
ici )
Journal de bord de Jack MonroeChapitre : L'espoir est une forme de crime.
Apprendre. J'ai entendu ce mot toute ma satané vie. J'ai vécu avec l'apprentissage comme certains vivent avec un chien. Toujours là, derrière moi, les babines retroussées parce que la faim de discipline était trop conséquente, l'apprentissage mit fin à toute mon espérance.
Ce mot, devenu maître dans un foyer aussi impersonnel qu'austère me fit comprendre que dans l'espoir, on ne trouvait que souffrance. Sa condition, bien qu'elle soit affreuse devait être consentie.
On m'a volé mon enfance, on a violé mes secrets les plus intimes. Au nom de quoi ? De cette Sainte Mère qu'était l'Autorité.
Ma jeunesse s'est émancipée au rythme des gifles sur mon visage. Comme le gaz, ma tendre enfance s'est évanouie, emportant avec elle, les désirs et la grandeur d'une vie bohème.
Aucun coupable à cette vie gâchée, sauf un peut-être. Je pense que le seul coupable n'est autre que la figure la plus terrifiante, la plus vomitive aussi, figure que j'ai vu de ma vie. Celle de mon père. Militaire dans les faits mais également dans l'âme, il n'a jamais montré d'amour à mon égard.
Devenu fardeau de ma naissance à la mort de ma mère, dont je suis coupable d'après lui, il n'a pas hésité à me traiter comme un animal sauvage.
Je n'ai vu que la haine qu'un homme pouvait avoir envers un autre, et j'ai compris immédiatement pourquoi le monde avait été ravagé comme cela. Si tous avaient cette sauvagerie, cette force de torturer physiquement et mentalement leurs ennemis, alors l'Homme ne méritait pas même la vie.
Même ici, seul à la lueur d'une lampe à faible consommation d'énergie, je ne peux même pas décrire sa cruauté. Elle fut latente, pendant des années, présente, comme un ver qui vous ronge de l'intérieur. Fréquente, peu à peu, lancinante, affame.
Je n'ai connu pire sensation que la douleur morale de ce genre de supplices d'un autre âge. Lorsqu'on vous frappe, vous comprenez très vite que la douleur est éphémère, elle s'en ira, quoi qu'il en coûte, mais la douleur mentale, c'est tout autre chose encore.
Lorsque du doigt accusateur (et légèrement boudiné) on vous hurle dessus, on vous hurle des vulgarités, que l'on vous exhorte d'être coupable de la mort de votre mère, là et seulement là, vous savez que toute votre vie ne sera rien d'autre qu'un enfer.
Chapitre : De l'autorité au désamour.
Maintenant que les bases ont été posées, comme des dés que l'on jette un peu au hasard, ma vie pouvait enfin commencer.
Ce climat de perpétuelle accusation et de sévisses continuelles ne s'est jamais estompé. Même lorsque j'eus une dizaine d'années, les coups continuaient de pleuvoir sur mes frêles épaules. D'autres accusations vinrent rejoindre les autres. Et toujours un peu plus, la bonne dose pour me rendre docile et l'autre pour me ruiner sentimentalement.
J'étais, moi, Jack Monroe, le jouet d'un sociopathe particulièrement rusé.
L'enfer cérébral, l'enfer physique. Toutes les conditions étaient là, devant mes yeux, derrière aussi. Le traître pouvait surgir à tous les instants.
Je n'ai rien pu choisir de mon enfance. Même un repas ne pouvait contenir les préférences de mon père, alors l'opposé exact de mes goûts. Lorsqu'il aimait quelque chose, il était de ma nature, de mon devoir même d'apprendre à la détester. Et s'il s'agissait de quelque chose que j'aimais encore plus que lui, j'y renonçais.
J'ai joué à ce petit jeu toute mon enfance, mais très vite, je n'ai plus eu d'autre choix que de me plier à ce désamour autoritaire où j'avais plus le rôle de troufion de base que de fils aimé.
Chapitre : Amour, gloire et beauté, les rêves brisés.
Particulièrement doué pour le sport, j'ai rêvé autrefois d'être quelqu'un de reconnu pour ce genre de choses, mais bien entendu, la tradition familiale me fit épouser les bonnes vielles mœurs de notre armée.
Dans la même lignée, je n'ai jamais pu trouver de situation stable avec personne. N'ayant plus d'autre but dans la vie que celui de prouver au bourreau qui s'était chargé de mon éducation que je pouvais être bien meilleur que lui (dans son propre domaine qui plus est) que je n'ai jamais pu trouver une femme.
La douceur, la mélodieuse voix d'une nana, ça me manque parfois, et même aujourd'hui, je ne suis complet que parce que j'ai de l'autorité mais ma vie sentimentale ressemble à ce néant dans lequel on se perd complètement. Il n'est rien de moins intéressant que ma vie privée.
J'ai tout donné à ma patrie, j'ai appris à croire aux valeurs de l'armée, à la défense du peuple. J'ai appris qu'il était d'une importance capitale que d'apporter la sécurité à ceux qui n'osaient plus sortir de chez eux. J'ai sacrifié ma vie, du moins, on a sacrifié ma vie. On m'a ôté toutes les aspirations que j'ai nourri durant des années.
On a massacré mon bien-être à la hache, on a coupé mon désir. La vie est parfois cruelle mais avec moi, elle s'est montrée sous son jour le plus terrible.
Chapitre : Le front, la guerre et ses horreurs.
Dans l'armée, j'exultais. Mon amour profond du sport, mon intérêt pour le maniement des armes et mon père, toujours lui, comme cette ombre menaçante qui vous promet la mort en cas d'erreur, ont gagné.
Grâce ou à cause d'eux, je suis devenu quelqu'un d'autre et même si ce n'est pas celui que je voulais devenir, j'ai pu me faire un nom.
Doué qu'ils disent lorsqu'il évoque mes capacités à me battre ou à tirer. Moi je n'utilise pas ce mot, doué, c'est pour ceux qui ont un don, moi c'est simplement l’apprentissage. LUI. ENCORE LUI. Et le non-choix aussi, apprendre à me défendre avant qu'il ne soit trop tard, apprendre à me défendre pour ne plus jamais subir les coups de mon père, pour ne plus jamais avoir à soigner des blessures infligées jusqu'au sang, jusqu'à l'évanouissement parfois.
Malheureusement, être "doué" comporte aussi des désavantages. Et lorsque la guerre éclata entre notre belle et fraîche Amérique et un pays du tiers monde, on décida de m'envoyer sur le front. Soldat Monroe, vous êtes prêt à être jeté en pâture. Merci d'être de la chair à canon, on vous remettra une médaille une fois mort. A cette époque, c'est comme ça que je voyais encore le pays pour lequel j'allais me battre. Je le voyais encore comme un faiseur d'ennuis, un faiseur d'ennuis particulièrement faible qui demandaient à ces copains de venir l'aider.
J'ai été envoyé sur le front en compagnie du seul homme avec lequel je ne pourrais jamais cohabiter. On décida de m'envoyer sur le front avec mon père, mais alors que la vie avait été dure, à cet instant, l'enfer de la guerre transforma véritablement nos relations. Elles devinrent plus atroces encore et lorsqu'il succomba en mission, je fus l'homme le plus heureux de la planète.
J'étais un homme changé à jamais. Et pour une fois, ce changement serait bénéfique, tellement bénéfique même que le soir même, je buvais plus que de raison. On pensa que c'était à cause de ma tristesse, mais c'était plutôt de la joie, ce sentiment d'euphorie, de n'être rien d'autre que l'homme le plus heureux du monde entier.
Chapitre : Exultation
A mon retour dans notre beau pays, on me fit subir une série de tests psychologiques. On ne voulait aucun traumatisme dans la race pure qu'était celle des militaires. Le docteur en plus de trouver ma présence sympathique ne décela absolument aucun traumatisme, aucune erreur de jugement.
Pour sûr, doc ! Je venais de perdre la personne que je rêvais de perdre depuis l'âge de raison. Je venais d'abandonner le fardeau le plus lourd et le plus infernal que je portais sur mes épaules. Une sensation d'être comblé m'enveloppa.
Mon objectif à ce moment là était le plus clair que l'on puisse avoir. Je voulais combattre mon père mêmz après sa mort, mon but était de prouver à ce cadavre ravagé que j'étais plus "doué" que lui, que j'avais cette capacité ultime à le dépasser.
Pour récompenser mon travail au front qu'on jugea admirable, parce que oui, tuer était admirable lorsqu'il s'agissait des intérêts de l'Etat.
Mieux que tout, je fus l'un des premiers, peut-être même le premier a être nommé major-général.
A trente ans et quelques mois, ce poste fut pour moi le tremplin qu'il me fallait. Je battais de loin mon paternel et j'obtenais une autorité conséquente. Si l'armée ne m'apporta pas l'assouvissement de mes désirs les plus anciens, elle m'apporta deux satisfactions, celle de voir mourir mon père, et celle de m'octroyer une autorité méritée.
Chapitre : Voir d'en haut, comment ça brille un peu la Terre.
Mais cette joie à part, je connaissais très bien la situation de cette planète, qui peu à peu était en train de se mourir. Jusque là, je n'avais même pas le loisir d'avoir peur de cela, mais aujourd'hui, alors que la guerre était terminée, que nous avions vaincu et que l'ennui se faisait sentir plus que jamais, le danger était bien là.
Maintenant que je pouvais rêver, maintenant que l'espérance n'était plus un crime, maintenant qu'Il était mort, je rêvais de servir ailleurs. Cette Terre et ses malheurs n'intéressait plus le jeune homme fougueux que j'étais. Rien, absolument rien ne me retenait ici. Puante qu'avait cette existence, merveilleuse qu'elle deviendrait...
J'émis le souhait de participer au projet de colonisation de Gaëlia. Guider le peuple avait cette allure non dissimulée de prophète au travers les montagnes, et être le berger était séduisant. Au vu de mon parcours professionnel et de mes état de service et après de nombreux tests tous aussi stupides les uns que les autres, la décision était tombée.
Fébrile en ouvrant l'enveloppe -comme dans de vieux films d'espionnage-, j'appris avec une explosion de joie que ma candidature avait été retenue et que j'y servirais désormais lieutenant-général. Le second ! Cette place n'était pas la meilleure mais elle était tout de même tellement excitante. J'allais être le chien du berger, A trente ans, on ne pouvait rêver mieux.
Le voyage approchant, j'avais réuni les quelques affaires que je voulais emporter, tout avait tenu dans un sac à dos.
Chapitre : A New Hope.
ESPOIR. ESPOIR. ESPOIR. J'y croyais de nouveau ! L'espoir n'était pas puni et cet idiot là, il existait vraiment. Il était là, vicieux parmi les vicieux, planqué dans les planqués. Il suffisait de fouiller un peu pour le retrouver.
Moi qui en avait été privé pendant ma vie, je venais de le croiser. Et comme toutes retrouvailles, ça avait été sexuel à souhait. Je l'avais embrassé, enlacé. Et comme lorsqu'on se sent amoureux, je ne l'avais jamais plus quitté.
A mon arrivée sur Gaëlia, le Général qui avait été choisi est décédé. Pas même le temps de débarquer, il est mort sur la rampe d'accès du vaisseau. Le cœur n'avait pas tenu le trajet et il s'était éteint comme ça, d'un battement de paupière.
Nous sommes huit ans après mon arrivée sur la planète. Je suis Jack Monroe, Général d'Armée et aujourd'hui, JE suis le berger.