"A la naissance d’un enfant, si sa mère demandait à sa bonne fée de le doter du cadeau le plus utile pour lui, ce cadeau serait la curiosité. " Eleanord Roosevelt
Le couloir au blanc morose et déprimant était plutôt mal éclairé en cette froide journée d'avril. Les nombreux tableaux disposés sur les murs étaient censés rendre la pièce plus joyeuse, malheureusement lorsque la peur habitait la personne les regardant, elle avait plutôt l'impression que chacun d'entre eux reflétaient la mort et le désespoir. Caen ne dérogeait pas à cette règle. Il était assis sur un banc bancal depuis bien trop longtemps à son goût et son inquiétude ne cessait d'augmenter. Il fixait la porte sans jamais la lâcher du regard, ses mains tremblantes tenaient un petit journal qu'il ne s'était même pas donné la peine de lire. Il fallait absolument qu'il tienne quelque chose sinon, il aurait été capable de cogner sur tous les murs de l'hôpital pour obtenir la moindre bribe d'information. On lui avait dit d'attendre et c'est ce qu'il faisait, mais il n'avait encore reçu aucune nouvelle de sa femme. Elle devait surement vivre l'un des moments les plus douloureux de sa vie et il ne pouvait l'accompagner, cette simple pensé le rendait fou.
Il se leva brusquement, faisant presque tomber le banc qui ne tenait plus que par quelques visses. Il jeta des regards désespérés de chaque côté du couloir, cet endroit semblait désert et pourtant vu le nombreux d'habitants atteints de maladies toutes pires les unes que les autres, il devait y avoir de nombreux patients dans les chambres.
Il poussa un soupir profond et leva les yeux au ciel, comme pour défier Dieu de lui prouver son existence. Et comme une douce réponse, la porte de la salle numéro 426 s'ouvrit doucement. Une jeune infirmière, aux yeux remplis d'espoir, s'avança vers lui un énorme sourire aux lèvres.
"Vous pouvez entrer, votre femme et votre fille vous attendent." Ses mots résonnèrent dans son esprit durant de longues secondes, il était père, enfin. Lucy et lui avait essayé d'avoir un enfant pendant de nombreuses années, mais les conditions de vies et surtout, leurs maladies respectives ne leur avait pas permis de voir leur souhait abouti. Ils avaient renoncé, se disant qu'il était mieux d'éviter à un enfant de plus de se retrouver dans cette galère causée par la seule bêtise de l'Homme et sans crier gare, Lucy était tombée enceinte.
"L'enfance est un voyage oublié." Jean Mallard
Blueberry était assise au bord de son lit, elle tenait un crayon bleu dans l'une de ses mains et un cahier aux pages blanches était posé sur ses genoux. Elle s'appliquait à dessiner un ciel au bleu parfait, comme ceux qu'elle aimait contempler dans les livres. Elle n'arrivait pas à croire que des paysages d'une telle beauté ait pu exister un jour sur cette même planète. Ses parents lui avaient conté de nombreuses fois l'histoire de la Terre et cela l'intéressait grandement. Alors à seulement neuf ans, la brunette lisait des livres d'Histoire et se plongeait dans les encyclopédies. Son intelligence et sa curiosité ne cessaient d'émerveiller Caen et Lucy, ils étaient un peu plus surpris chaque jour de voir leur petite fille aux yeux turquoises et aux boucles brunes grandir si vite.
La vie était loin d'être facile sur la Terre, tout empirait, mais les Reed remerciaient chaque jour le ciel de pouvoir vivre aisément. Caen avait hérité de la fortune de son père quelques années auparavant et il avait pu, grâce à ça, mettre sa famille quelque peu à l'abri. Blueberry, malgré son jeune âge, était déjà consciente que tous les enfants n'avaient pas sa chance. Mais elle savait également que certains étaient encore mieux loti qu'elle. Elle les enviait secrètement, rêvant de pouvoir guérir son atrophie thyroïdienne à l'aide d'un implant.
"Nul n'est plus misanthrope qu'un adolescent déçu" Herman Melville
Sa robe noire ondulait sous la brise glacée, Blueberry plaqua une main contre ses cuisses, tout en essuyant ses larmes d'une autre. Elle laissa son mouchoir trempé tomber au sol sans s'en soucier, elle l'observa courant sur l'herbe poussé par le vent jusqu'à disparaitre. Ses yeux se tournèrent ensuite vers la petite maison pleine, elle entendait les discussions, les sanglots et elle pouvait presque sentir les mains se toucher, les épaules se frôler en ce triste jour. Sa mère, qu'elle avait pris l'habitude d'appeler "Lucy" pour se donner un genre, était décédée quelques jours plus tôt des suites d'une maladie virale.
Blueberry avait été effondré pendant les deux premiers jours, ne mangeant plus, ne dormant plus et hésitant même quelques fois à respirer. Puis, elle avait pris conscience qu'elle en voulait à Lucy, que c'était de sa faute si elle était partie l'abandonnant seule à ce monde minable. Elle avait pris la décision d'arrêter de prendre des vaccins depuis plusieurs mois, sans en parler à Caen ou à sa fille. Simplement parce que l'argent se faisait rare dans la famille et les soins chers, espérant survivre à tout comme un super héro sans avoir besoin de prendre des précautions, elle offrait alors à sa famille la possibilité de se procurer les soins dont elle avait besoin.
Si Blueberry pleurait assise sur le rebord du trottoir, c'était plus pour son père qui était tellement triste, qu'elle était presque certaine qu'il n'allait jamais s'en remettre. Evidemment si les larmes se déversaient le long de ses joues, c'était également son propre chagrin, mais elle n'était pas prête de se l'avouer.
"Le sort fait les parents, le choix fait les amis" Jacques Delille
"Si tu passes cette portes, ça n'est pas la peine de revenir !" Sa voix était sèche et ses yeux traduisaient une colère depuis longtemps enfouit. Caen s'était placé devant Hannah, montrant ainsi que son choix était arrêté. Blueberry arrêta son mouvement, les yeux embrumés, puis elle fit face à la porte, attrapa la poigné et sortit en la claquant derrière elle. Une petite valise à la main, elle resta en plein milieu de la rue quelques minutes, levant les yeux au ciel, priant pour que ses larmes se sèchent grâce au vent.
Son père et elle ne s'entendait plus depuis plusieurs mois. D'abord parce que la brunette avait arrêté ses études à dix-sept ans, ce qui l'avait mis rage, puis était venue la somptueuse Hannah, sa nouvelle compagne. Cette femme, Blueberry la détestait, elle voulait remplacer sa mère et ça, elle ne pouvait l'accepter. Elle l'évitait tant qu'elle pouvait, mais son père l'avait invité à venir habiter chez eux, alors Blueberry avait pris la décision de quitter le foyer.
Elle n'avait aucune idée d'où aller, mais tout serait bien mieux que dans cette maison. Elle marcha de nombreuses heures, puis se rendit compte qu'elle avait très peu de personnes sur qui compter. Sans se retourner, elle se dirigea vers la maison de William, son seul ami. Il était fou amoureux d'elle et la brunette le savait pertinemment, alors il n'oserait pas la laisser à la rue. Elle savait que c'était mal de profiter de la situation, mais pour le moment elle n'avait pas d'autres choix.
"Le doute est un hommage rendu à l'espoir" Lautréamont
William tenait fermement sa main, il y déposa un baiser et sourit. Blueberry, quant à elle, ne réalisait absolument pas ce qu'il lui arrivait. Son nom avait été tiré au sort, elle allait partir à New Hope, le seul espoir qu'il restait aux humains et pourtant son cœur était serré, ses mains moites et son estomac noué. Elle ne savait plus si elle devait rire ou pleurer. L'échappatoire à sa vie minable qu'elle attendait tant était enfin arrivé et pourtant, le doute s'était emparé d'elle. Depuis trente trois ans son nom attendait d'être sélectionné, mais il avait fallut que le sort la choisisse alors que tout commençait à lui réussir. Son premier livre avait enfin été publié et il remportait un franc succès, elle éprouvait à nouveau des sentiments forts à l'égard de William, son époux depuis douze ans et son père avait repris contact avec elle. Tout n'avait jamais été aussi bien et pourtant l'inquiétude avait envahit son être. Elle savait qu'elle n'aurait pas cette chance une seconde fois et qu'il lui fallait la saisir, mais elle ne pouvait s'empêcher de trouver ce choix égoïste.
Son mari la contemplait, il essayait de cacher sa tristesse, même si son regard le trahissait. Blueberry l'avait épousé essentiellement pour son argent et pour sa gentillesse, encore aujourd'hui elle regrettait de lui avoir mentit sur ses sentiments pendant de nombreuses années. L'amour s'était cependant emparé d'elle, alors qu'elle remarquait les petites attentions et les mots doux, en ce moment plus que jamais, elle l'aimait.
Sa main attrapa un t-shirt en un geste gracieux et elle le déposa dans sa valise encore vide.
"Je donnerai tout pour que tu m'accompagnes." La vie était injuste, alors que la brunette avait commis erreur sur erreur et rendu des personnes malheureuses, elle avait droit à une seconde chance. Alors que William, qui avait pensé au bonheur des autres avant le sien depuis son enfance, allait rester sur Terre et continuer sa petite vie sans Blueberry, son "étoile scintillante" comme il aimait l'appeler.
"La vie a toujours été une question de chance" Stephen Baxter
Emerveillement. La jeune femme contemplait le ciel aux couleurs si variées qu'il était presque impossible de toutes les déceler. Elle était sur Gaëlia depuis onze mois, mais elle ne se lassait pas de ces paysages à la beauté époustouflante. Les débuts de son arrivée avaient été éprouvants, il fallait se faire à une nouvelle vie complètement différente, mais surtout, oublier tout ce qui faisait partie de son passé. Sa famille, son métier et sa propre histoire. Un nouveau départ lui avait été offert et elle tentait d'en profiter au maximum, il était hors de question qu'elle ne laisse passer cette chance, même si cela lui était douloureux quelques fois.
Prenant une respiration à pleins poumons, elle pensa à ce que faisait William en ce moment et espérait de tout cœur qu'il était heureux. Elle gardait secrètement l'espoir qu'il pourrait la rejoindre un jour, même si tout ici lui faisait penser que c'était impossible.
Blueberry avait quasiment terminée sa première année à Illyria et elle allait enfin rejoindre New Hope. Même si elle avait été honoré de pouvoir découvrir la culture et le monde de vie des Illyrians, elle était pressée de mener une vie plus "humaine", bien qu'elle respectait énormément les Gaëliens.