⊹ L'espoir est une atroce douleur qui nourrit chaque secondes et chaque minutes d'une existence. Mais même si cet espoir est emprunt de douleur, ne plus en avoir c'est se laisser mourir petit à petit.

J'ouvre les doubles portes en chêne massif de son bureau avec violence et entre sans même lui dire bonjour... "Tu as encore fait ton possible pour que l'on refuse ma candidature!" Je m'arrête devant son bureau, me plante dans le sol et le fixe d'un regard noir. "Tu ne pourras pas passer ta vie à m'empêcher de partir là-bas!". Il a stoppé son travail, s'est légèrement reculé dans son fauteuil pour pouvoir mieux m'observer, a croisé ses bras et me regarde d'un air stoïque... Je déteste lorsqu'il fait cela, j'ai toujours l'impression d'être la petite fille à son papa, un peu capricieuse, que l'on doit laisser exprimer sa colère pour qu'elle comprenne d'elle même qu'elle dépasse les bornes. "Il n'y a que toi qui voit un avenir dans cette pénombre!". Je sens les larmes me monter. Je l'aime tellement et pourtant en cet instant je le déteste de tout mon être. "Tu crois que cette planète est notre avenir, tu crois qu'elle est notre rédemption ou je ne sais quoi!" Je balaie l'air d'un geste vif et ne lui laisse même pas le temps d'intervenir. "Mais pour moi cet endroit n'est que souffrance, misère et désarroi! J'aurai plus d'espoir à vouloir sauver un homme d'une maladie incurable que cette planète!". Mais paroles sont dures, je ne penses peut être pas tout ce que je dis mais j’espère qu'elle le blesseront comme le fait qu'il m'empêche de partir sur Gaëlia me blesse... Il soupire lentement et profondément et se décide enfin à prendre la parole. Je comprend alors à cet instant que je dois m’abstenir de l'interrompre. "Tu crois que j'interviens pour te nuire mais ta place..." Il se redresse alors et plonge son regard bleu azur dans le mien. Il est profond, sage mais fatigué, usé par le temps, par les années, par les épreuves et la dureté de la vie... "... Ta place est parmi nous. Parmi ta sœur et moi... Et parmi nous... Les humains..." Quittant son fauteuil il vient se poster devant moi et pose une main sur ma joue, comme pour à nouveau calmer l'enfant capricieuse qui vit en moi. "Cette Terre qui se fane, qui se meurt est la nôtre... C'est nôtre héritage... Et tu ne peux la laisser se mourir sans te battre!". Je sais que son discours n'est pas dénué de sens. Mais mon âme, mon être et mon cœur veux le rejoindre. Et je reste convaincue que l'avenir de la Terre se trouve sur Gaëlia, je reste convaincue que seule cette planète peut nous apporter les solutions pour guérir la nôtre. Mais il n'est pas juste question d'écosystème qui se meurt, d'une race qui s'éteint, ou d'un tout qui disparaît petit à petit, il s'agit de manière plus égoïste d'une femme qui veut à tout pris revoir un homme et sentir à nouveau sa main caresser son corps. En cet instant, la petite fille capricieuse que je déteste tant resurgit avec violence. Je repousse la main bienveillante de mon père et sort en trombe de son bureau. Tout est si injuste. La mort de mère l'était, cette existence l'est également, son départ et cette prise de conscience l'était également. Mes pas me guident je ne sais où... Je sens juste la colère envahir chaque parcelle de mon être. *Maudite petite fille capricieuse!" Me dis-je à moi-même en grimpant désormais les marches qui me mène à cet endroit que j'affectionne temps et qui par moment me fait presque regretter cette envie de partir si loin, sur une autre planète, dans un autre monde qui n'est pas le mien... La petite fille capricieuse se calme mais elle souffre toujours autant... La petite fille capricieuse à mal et je m'arrête et m’effondre... Mes poumons me brûlent... Je m'écroule dans les escaliers et cherchent mon air. La petite fille capricieuse se rend compte qu'elle n'aurait pas du agir ainsi et la physique le lui rappelle en quelque sorte. Je cherche mon air, ma main masse ma poitrine comme pour chercher à calmer la douleur... J'enfouie ma tête entre mes mains, me recroqueville et soudain plus rien ne compte. J'oublie mon père, j'oublie la peine liée à la perte de ma mère. J'oublie Gaëlia et mon désire brûlant de la rejoindre. J'oublie son visage et ses caresses. J'oublie ses mots et sa chaleur. Je ne pense plus qu'à cette douleur... Vive et saisissante... Qui me transperce... Mes pensées se troublent... Et je perds pieds... Les abîmes m'entourent, m'enserrent...

⊹ Ouvrir son coeur est un danger constant. Toute ta personne change et tu ne finis plus qu'à former une et une seule entité avec l'être aimé, quitte à oublier, quitte à perdre ce qui a le plus de valeur à tes yeux...

Je repense à notre rencontre. J'ai bénéficié d'une enfance heureuse du moins il faut l'admettre je suis une privilégié contrairement à d'autre. La fortune a sourit à ma famille et même si le monde que je connais est différent de celui que certains on pu connaître à une époque, je vis dans un extrême confort. Il n'en était pas de même pour Henry. Et pourtant nos chemins se sont un jour croisés pour ne plus jamais se quitter. Il avait trois ans de plus que moi et m'a fait découvrir LE monde dans lequel nous vivions. Mon père avait toujours fait en sorte de nous protéger de tout cela, quitte à nous dissimuler les choses. Bien sûre, j'étais au courant de la dureté de notre condition, des dégâts infligés par la guerre et par les changements climatiques. Mais le voir de mes propres yeux était différent. J'en voulais à mon père et en même temps le remercier de nous avoir protégé ma soeur jumelle et moi. Henry était déjà, enfant, un doux rêveur. Il voulait quitter la Terre pour Gaëlia, voulait découvrir cette planète dont on nous comptait les merveilleux récits. Il voulait s'offrir une chance de réussir et comprenait que rien ne pourrait l'y autoriser si il restait sur Terre. L'amour qu'entretenait mon père pour notre planète ne m'était pas totalement indifférent au final et j'étais bien souvent l'avocate de notre bonne vieille Terre. Mais Henry arrivait toujours à me faire abdiquer et me laissait rêver à notre avenir, à nous deux. Les meilleurs amis qui jamais ne se sépareraient. Quant je pense à lui, mon coeur se sert. Le temps, les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois et les années renforcèrent notre relation. Amis possédant l'innocence de l'enfance, Adolescents rêvant d'aventures et découvrant la vie de bien des manières et Adultes comprenant l'attirance, le désir et l'implication qu'une telle relation pourrait demander. Je repense encore à notre rencontre et cela me fait souffrir. Je l'aime et le lui ai dit bien trop tard. Lui aussi dans un sens. Je l'ai vue dans son regard, lorsqu'il est partit pour Gaëlia. Car il est partit et même si je sais qu'un jour notre chemin se croisera à nouveau, j'ai mal. Plus rien ne nous lie hormis cette immensité qu'est l'univers.

Je suis certainement la meilleure, l'une des plus brillantes botaniste de ma génération et pourtant je reste ici à contempler les ruines de notre passé. Par la crainte de mon père de me voir partir et de ne plus jamais me voir revenir, par la faiblesse de ma sœur à vivre sa vie sans moi, par la maladresse que j'ai à exprimer mon réel désire d'aider, mais aussi d'aimer au grand jour et pour la toute première fois un homme à qui je n'ai pas osé avouer mon amour lorsque l'occasion m'en était donné. Était-il encore en vie?!? Était-il toujours à moi?!? L'avait-il été seulement une fois?!? Il ne pouvait en être autrement... Je sens mon cœur accélérer la cadence et mes poumons commencent à nouveau à me brûler. Mon père a toujours voulu me faire bénéficier d'implants. Nous en avons largement les moyens... Mais l'oeuvre d'Henry pour changer ma vision des choses avaient fonctionné. Comment pouvais-je me soigner de la sorte alors que tant mourrait par faute de moyens?!? Je préférais donc souffrir en silence. Et même si encore maintenant mon père en veut à Henry d'avoir bousculé ma vie, et même si la douleur devient de plus en plus insupportable, jamais, non jamais je ne serai cette privilégié que l'on désire que je sois. Je repense à toutes ces dernières années. Aux nombres de fois où j'ai posé candidature pour partir. Au nombre de fois où mon père a fait en sorte de m'empêcher de partir. Je sens la colère s’immiscer dans mes veines et la douleur augmenter... Je souffle, cherche l'air et tente de me calmer. Un jour lorsque je partirai le rejoindre, alors je n'aurai plus mal et tout deviendra plus facile...

⊹ L'univers offre à tout un chacun l'opportunité de recommencer à zéro. Il ne tient qu'à toi de te laisser vivre pleinement, sans crainte ni peur...

Lorsque je pense à toute cette histoire, je me sens soudainement nostalgique, pleine de regrets et de désirs d'avancer... J'y suis arrivée... Sur Gaëlia. J'ai réussi à partir... Quittant mon père, lisant la déception pour la dernière fois dans son regard. Quittant ma sœur, ses yeux baignés de larmes, m'en voulant de l'abandonner ici. J'ai vu cette planète pour la première fois entrer dans mon champ de vision et percuter mon âme toute entière. Ces couleurs, cette faune, cette flore, cette vitalité qui s'en dégage est juste incroyable. Je me souviens de ce sentiment de joie immense lorsque pour la première fois je foulais le sol Gaëlien. La joie aussi immense soit-elle, aussi forte, aussi puissante laissa place rapidement à l'angoisse. L'angoisse de ne pas le revoir, l'angoisse de me retrouver seule, loin de tout et loin d'eux. Encore maintenant je doute de tout cela et pourtant cela fait déjà cinq années que je suis ici. Et  je suis tombée de haut depuis, apprenant qu'Henry était porté disparu suite à une mission qui avait mal tourné. Toute son unité avait mystérieusement disparu et au fur et à mesure des mois et des années, les recherches avaient tout simplement cessées. Malgré tout j'ai toujours le sincère sentiment qu'il est en vie et je continue à remuer ciel et terre pour le retrouver, même si au fur et mesure des jours et des semaines l'espoir en moi s'amenuise également, il reste au plus profond de mon être cette petite attente qui persiste et ne s'éteint jamais.

Alors j'avance encore et toujours, surmontant ma peine et mon chagrin, aidant la communauté Terrienne de mon mieux, cherchant un espoir pour cette dernière et lui permettre peut être un jour de retrouver sa splendeur d'antan, cherchant à découvrir encore plus de ce monde pour le retrouver, pour me le ramener. L'angoisse s’immisce de nouveau dans mes veines, mes poumons me brûlent mais plus de la même manière. Cet implant, on me l'a posé finalement... La douleur est toujours présente, mais moins vive. Pourtant elle me rassure en quelque sorte, me le rappelle. C'est étrange!! J'avance lentement vers les abords du Lac... J'entends une voix lointaine m’appeler... "Alannah!! Alannah!!". On dirait la voix de mon père ou bien celle de ma sœur... J'aurai tellement aimé les avoirs près de moi, j'aurai tellement aimé qu'il s'agisse de la sienne, de sa voix à lui... Elle me semblait si lointaine désormais... Je pénètre lentement dans l'eau... Elle est froide mais elle me fait déjà un bien fou... Je m'enfonce lentement et me retrouve soudainement totalement immergée. La peur disparaît, la douleur aussi... Le manque d'air ne se fait plus ressentir... Je n'ai plus besoin de me soucier de cela. L'eau est devenue mon allié, mon cocon... Elle me berce, me protège, me calme. Je reste là à observer les nuances de bleus, de verts que crée la lumière... Je finis par comprendre qu'il m'aura fallu traverser l'univers entier pour y trouver une sorte de paix mais également un enfer. Mais l'un ne va-t-il pas avec l'autre?!? Seul l'avenir pourra me le dire...